Le récit entrepreneurial face à l’urgence climatique
Depuis une décennie, l’écologie est devenue un terrain d’investissement discursif pour l’entrepreneuriat. Startups « vertes », innovations durables, technologies responsables : l’économie de marché tente de récupérer l’imaginaire écologique. Le récit dominant n’oppose plus croissance et environnement. Il promet une convergence. Mais derrière cette façade, les contradictions s’accumulent.
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L’entrepreneur est présenté comme un acteur du changement. Il inventerait des solutions, bousculerait les normes, accélérerait la transition. Cette figure héroïsée masque pourtant un conflit fondamental : celui entre l’exigence de rentabilité et la nécessité de rupture systémique. L’entreprise doit croître. L’écologie impose de ralentir.
Même les secteurs extérieurs à l’industrie s’alignent sur cette logique. Le numérique, la finance, et même les plateformes comme https://22betcd.com/en_cd/, par exemple, s’insèrent dans des récits écologiques par opportunisme. La responsabilité devient image. La compensation carbone devient un argument marketing. On parle de neutralité, jamais de renoncement.
Croissance verte : oxymore ou stratégie politique ?
La « croissance verte » n’est pas un modèle. C’est une construction idéologique. Elle repose sur l’idée que le capitalisme pourrait se réformer de l’intérieur. Que les innovations techniques suffiraient à réduire les émissions, sans modifier les structures de production ni les rapports sociaux. Ce récit permet de préserver l’ordre existant.
Le problème n’est pas seulement technologique. Il est politique. L’économie capitaliste repose sur l’accumulation, la concurrence, la prédation des ressources. Même « verte », une économie fondée sur ces principes reste destructrice. Produire moins, consommer moins, transporter moins ne sont pas des options pour les marchés. Ce sont des pertes.
L’entrepreneur « écolo » est souvent piégé par cette contradiction. Il vend un produit censé réduire l’impact environnemental, mais il doit en vendre toujours plus et parle d’économie circulaire, mais dépend du financement linéaire. Il veut innover, mais l’innovation devient dépendante des mêmes chaînes d’extraction.
Startups durables, dépendances invisibles
Les startups écologiques reproduisent les dépendances globales. Le « produit vert » est souvent fabriqué à partir de matières extraites dans des zones dévastées. Les batteries, les puces, les fibres supposées propres proviennent d’un extractivisme requalifié. On relocalise le discours, pas la production.
Même les outils censés mesurer ou limiter l’impact (applications, capteurs, interfaces) nécessitent une infrastructure lourde. Data centers, métaux rares, logistique automatisée : l’écosystème de la tech verte reste énergivore. Il dissimule la matérialité sous une interface propre.
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La financiarisation accentue ce phénomène. Les levées de fonds imposent des seuils de rentabilité. Les investisseurs exigent des retours rapides. Les projets réellement décroissants ne sont pas finançables. La logique du capital l’emporte, même quand le discours prétend l’inverse.
Économie sociale et écologie politique : des tensions constantes
Certaines structures alternatives tentent de résister. Coopératives, associations, entreprises à gouvernance partagée. Mais elles se heurtent à la domination des normes marchandes. Pour survivre, elles doivent s’aligner. Pour croître, elles doivent se transformer. Le système digère ses marges.
L’économie sociale parle de transition, mais souvent sans rupture. Elle évite les conflits, privilégie le compromis. Elle transforme l’écologie en service, en outil d’insertion, en opportunité d’emploi. Le sens politique se dilue dans l’utilité économique. La critique devient fonctionnelle.
Les acteurs réellement en rupture restent en périphérie. Les formes autogérées, les zones de résistance, les collectifs sans but marchand. Ils ne « créent pas d’emploi », ne « valorisent pas le territoire ». Ils ne produisent pas de valeur mesurable. Donc ils sont invisibles.
L’innovation comme moteur mimétique de perpétuation dissimulée
L’idéologème entrepreneurial contemporaine, dans sa logique autoréférentielle, érige l’innovation en instance de régulation pseudo-réparatrice, tout en réaffirmant la totalité logistique du désastre par des procédures d’optimisation décontextualisée. L’innovation ne vient pas rompre : elle vient recadrer la crise comme externalité soluble, neutralisant ainsi toute conflictualité structurelle. Elle encadre la ruine dans une grammaire de performance.
Chaque dispositif technologique dit « écologique » inscrit sa matérialité dans une économie d’additionnalité cumulative, où l’obsolescence ne remplace pas mais coexiste. Le produit dit propre ne détrône pas le polluant : il s’agrège à lui dans une logique d’accumulation fractale. Le marché n’opère aucune soustraction. Il conserve, superpose et élargit les surfaces de capture.
Dès lors, l’innovation devient une manœuvre de recodage sémiotique de la consommation. Elle ne diminue pas l’intensité extractive : elle la redirige dans les recoins acceptables de la conscience publique. Le greenwashing cesse d’être subterfuge : il devient syntaxe d’État. Il produit du silence, non de la solution. Il institue un ajournement permanent comme régime d’acceptabilité.
La valeur comme artefact capitalisable : vers une insurrection ontologique
Ce que l’on nomme aujourd’hui « économie verte » repose sur une reconduction formelle des impératifs néolibéraux, travestis en impératifs climatiques. La question écologique, dans son épaisseur matérialiste, ne peut être contenue dans une matrice organisationnelle conçue pour externaliser ses propres dommages. L’entreprise n’est pas le véhicule : elle est la forme-écume d’un système d’épuisement.
Toute tentative de réintégration éthique de la production au sein d’un cadre entrepreneurial achoppe sur une antinomie de fond : on ne décarbone pas le capitalisme en optimisant ses interfaces. La production, dès lors qu’elle obéit à des logiques de croissance, échappe à tout contrôle écosystémique. Elle nie le rythme du vivant. Elle produit de la vitesse.
Recomposer des formes d’activité post-marchandes implique une suspension radicale des injonctions au rendement. Il ne s’agit pas de moraliser l’entreprise, mais d’abolir son monopole narratif. Subordonner le geste productif à une éthique de la limite suppose un basculement ontologique : de la valeur vers la subsistance, de l’innovation vers l’interruption, du résultat vers l’insoutenabilité admise.